La Réunion : Géopolitique, Énergies et Climat

Clément Payet – Géographe urbaniste – 2025

Dans un monde marqué par des instabilités géopolitiques, climatiques et économiques, La Réunion se positionne comme un acteur stratégique dans l’océan Indien. Avec une population actuelle de 800 000 habitants, qui pourrait atteindre un million d’ici 2050, et une superficie de 2 500 km², ce département français d’outre-mer est au cœur de plusieurs enjeux mondiaux : sécurité énergétique, rivalités géopolitiques, impacts climatiques et transitions technologiques.


I. Enjeux Locaux et Régionaux

1. Dépendance Énergétique et Transition Vers les Renouvelables

La dépendance aux hydrocarbures reste un défi majeur pour La Réunion. 85 % de l’énergie consommée provient encore des combustibles fossiles, avec une forte concentration dans les transports terrestres (66 %) et aériens (31 %). Cette vulnérabilité expose l’île aux fluctuations des prix internationaux et aux tensions géopolitiques dans des zones stratégiques telles que le canal du Mozambique.

Cependant, des progrès significatifs sont réalisés dans la transition énergétique. Les énergies renouvelables couvrent désormais 56 % des besoins électriques grâce au solaire, à l’hydroélectricité et à la biomasse. Par exemple, la centrale solaire de Pierrefonds et la microcentrale hydraulique de Takamaka illustrent les progrès réalisés dans l’utilisation des ressources locales pour une production énergétique durable. Le potentiel des énergies marines (houlomotrice, marémotrice) et de la géothermie constitue un atout non négligeable pour renforcer la résilience du mix énergétique et réduire la dépendance aux importations.

2. Mobilité Électrique : Une Priorité de la Transition

Le transport représente un secteur clé pour réduire la dépendance énergétique. Aujourd’hui, 10 % des véhicules immatriculés sur l’île sont électriques, un chiffre en croissance rapide. La Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) fixe des objectifs ambitieux pour 2028, incluant une augmentation des infrastructures de recharge et une accélération du remplacement des véhicules thermiques.

3. Résilience Face aux Risques Naturels

Exposée aux cyclones tropicaux, La Réunion doit renforcer ses infrastructures énergétiques. Le cyclone Chido en 2024, qui a rasé l’île de Mayotte, a posé des problèmes sanitaires, sécuritaires, sociaux et énergétiques majeurs, pouvant engendrer des déplacements migratoires massifs. Cet événement doit réinterroger le positionnement de la France dans les Outre-Mer au regard des enjeux climatiques, socio-économiques, urbanistiques et énergétiques. Le cyclone Bejisa en 2014 qui avait privé 180 000 foyers réunionnais d’électricité, illustrant la vulnérabilité des réseaux électriques et des centrales photovoltaïques. Depuis, des progrès significatifs ont été réalisés avec le renforcement des infrastructures et l’installation de systèmes de stockage d’énergie pour prévenir des coupures similaires. Par exemple, des initiatives comme le projet de micro-réseaux électriques à Saint-Pierre ont été lancées pour améliorer la résilience énergétique face aux catastrophes naturelles. La lutte contre les inondations et l’érosion côtière est essentielle pour garantir une continuité énergétique dans un contexte de changement climatique.

4. Pression Migratoire et Croissance Démographique

Le changement climatique pourrait entraîner des migrations massives depuis Madagascar ou les Comores. En tant que territoire stable de l’Union européenne, La Réunion pourrait devenir un point d’accueil, augmentant la pression sur ses infrastructures énergétiques, hydriques et agricoles. Par ailleurs, le cyclone Chido a démontré le positionnement géostratégique de La Réunion dans le cadre des opérations de secours à Mayotte. Des politiques anticipatives sont cruciales pour éviter des tensions sociales et énergétiques.


II. Sécurité Géostratégique et Présence Militaire

Contexte International et Rivalités Stratégiques

La position de La Réunion dans l’océan Indien en fait un pivot dans les rivalités entre grandes puissances. Par exemple, la Chine investit dans des ports stratégiques comme Hambantota au Sri Lanka et Gwadar au Pakistan dans le cadre de sa stratégie des « Nouvelles Routes de la Soie », tandis que l’Inde se concentre sur des alliances régionales comme l’Initiative pour l’Océan Indien afin de contrer cette influence. Ces dynamiques géopolitiques amplifient l’importance de La Réunion en tant que plateforme française pour surveiller et réagir aux évolutions stratégiques dans la région. La Chine, avec sa stratégie des « Nouvelles Routes de la Soie », investit massivement dans les infrastructures portuaires de la région pour s’assurer un contrôle des routes maritimes. L’Inde, inquiète de l’expansion chinoise, cherche à renforcer son influence à travers des partenariats stratégiques avec les États-Unis et l’Union européenne. Ces dynamiques créent un espace où La Réunion peut jouer un rôle clé en tant que base militaire française et plateforme pour la sécurité des routes énergétiques. Par ailleurs, la France, via La Réunion, peut renforcer sa présence diplomatique et économique dans la région pour contrer ces influences.

1. Sécurisation des Flux Stratégiques

Avec 80 % du commerce énergétique mondial transitant par l’océan Indien, La Réunion joue un rôle clé dans la sécurité régionale. La guerre en Ukraine et l’escalade des conflits au Moyen-Orient ont révélé la fragilité des approvisionnements énergétiques mondiaux, mettant en évidence l’importance stratégique de la sécurisation des routes maritimes et des infrastructures liées à l’énergie. Les Forces Armées dans la Zone Sud de l’Océan Indien (FAZSOI) regroupent 2 000 soldats, chargés de :

  • Sécuriser les routes maritimes et énergétiques.
  • Lutter contre la piraterie maritime, notamment dans le canal du Mozambique.
  • Protéger les infrastructures critiques, telles que les câbles sous-marins.

2. Comparaison avec Mayotte : Une Dynamique Différente

Tandis que La Réunion consolide son rôle stratégique, l’importance géopolitique de Mayotte reste plus limitée. Cependant, la découverte de pétrole près de l’île Éparse de Juan de Nova pourrait modifier cette dynamique. Si cette ressource venait à être exploitée, elle pourrait renforcer le rôle géostratégique de la France dans l’océan Indien, tout en posant des questions sur l’impact environnemental et sur la compatibilité avec les objectifs climatiques de Paris. Une telle exploitation pourrait aussi entraîner une intensification des tensions dans la région et un renforcement de la compétition internationale pour l’accès aux ressources énergétiques. En 2020, la France a suspendu ses recherches pétrolières dans la région, optant pour une stratégie alignée avec ses engagements climatiques.

3. Prévention des Risques Hybrides

Dans un contexte de guerre hybride, marqué par des tensions globales comme celles en mer Baltique, La Réunion et Mayotte jouent un rôle crucial pour protéger les câbles sous-marins, essentiels à la connectivité mondiale et aux échanges économiques.


III. Intégration Européenne et Opportunités Régionales

1. Financements et Coopérations Stratégiques

En tant que région ultrapériphérique, La Réunion bénéficie de financements européens pour des projets innovants dans les énergies renouvelables. Son rôle au sein de la Commission de l’Océan Indien (COI) facilite des partenariats régionaux, renforçant son positionnement géopolitique et économique.

2. Objectifs Ambitieux de la PPE et de l’UE

La PPE 2028 fixe des cibles ambitieuses : atteindre 50 % d’énergies renouvelables et multiplier par 2,5 la production photovoltaïque (+250 à 310 MW). Le rapport Draghi souligne l’urgence pour l’Union européenne de se repositionner stratégiquement face aux bouleversements géopolitiques récents, insistant sur une coordination renforcée entre les États membres et des investissements accrus dans des infrastructures énergétiques résilientes. Pour atteindre ces objectifs, des investissements significatifs seront requis dans les infrastructures solaires et éoliennes, ainsi que dans le stockage de l’énergie. Des partenariats publics-privés pourraient jouer un rôle clé en mobilisant des ressources financières et technologiques, tout en stimulant la création d’emplois locaux et en renforçant la compétitivité économique de l’île. Ces objectifs s’alignent sur la Directive RED 3 de l’UE, qui impose 42,5 % de renouvelables dans le mix énergétique européen d’ici 2030.


IV. La ZEE de La Réunion et les TAAF : Opportunités et Enjeux Géostratégiques

1. Potentiel Minéral et Stratégique

La Zone Économique Exclusive (ZEE) de La Réunion, couvrant 2,3 millions de km², abrite des ressources stratégiques, notamment : selon une étude de l’ADEME, les mines terrestres en France connaissent une diminution progressive de leur activité en raison de l’épuisement des ressources exploitables, avec une fermeture prévue de 40 % des sites d’ici 2030. Parallèlement, le potentiel des mines sous-marines dans les eaux proches de La Réunion est estimé à plusieurs millions de tonnes de nodules polymétalliques, notamment riches en nickel, cobalt et manganèse, offrant une opportunité stratégique pour répondre à la demande mondiale croissante en minerais critiques. les liens avec les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) renforcent encore le rôle de La Réunion en tant que plateforme logistique et scientifique pour la gestion et l’exploration des ressources dans ces zones. La base de Port-aux-Français à Kerguelen, par exemple, sert de point d’appui pour des missions dans l’océan Austral, tandis que des programmes de recherche menés sur la biodiversité et les réserves minérales en Antarctique s’appuient sur l’expertise réunionnaise. ces ressources, également stratégiques pour la transition énergétique mondiale, mettent en évidence la nécessité de diversifier les chaînes d’approvisionnement et de renforcer les compétences locales pour leur exploitation durable.

  • Nodules polymétalliques (nickel, cobalt, cuivre, manganèse).
  • Sulfures hydrothermaux, riches en métaux rares essentiels à la transition énergétique.

Le programme français “Grands Fonds Marins” vise à cartographier ces ressources, tout en évaluant les impacts environnementaux d’une potentielle exploitation. La diversification des approvisionnements via l’exploration sous-marine pourrait permettre à la France de pallier la diminution des productions terrestres et renforcer sa souveraineté énergétique et technologique. Toutefois, cette démarche implique des coûts substantiels liés aux technologies d’extraction et aux infrastructures logistiques nécessaires. Par ailleurs, les risques écologiques potentiels, notamment sur les écosystèmes marins sensibles, doivent être minutieusement évalués afin de garantir une exploitation durable et respectueuse de l’environnement. Par ailleurs, les TAAF, avec leurs énormes écosystèmes marins et terrestres, sont des zones clés pour étudier l’impact du changement climatique et explorer les ressources naturelles, telles que les nodules polymétalliques ou les hydrocarbures non conventionnels. Ces opportunités renforcent le rôle géostratégique de La Réunion comme relais logistique et scientifique pour ces territoires.

2. Une Transition Alignée sur les Objectifs Climatiques

En 2017, la France a adopté une loi visant à mettre fin à l’exploration pétrolière dans ses ZEE. Cela inclut les zones autour des TAAF et de l’Antarctique, où les recherches se concentrent sur la préservation de l’écosystème fragile tout en examinant les possibilités d’exploitation durable à long terme. Cette décision illustre une volonté de privilégier une transition énergétique durable et respectueuse de l’environnement.


IV. Spécificités Démographiques et Sociales

Diversité Culturelle et Stabilité Sociale

La population réunionnaise, issue d’un mélange de cultures africaine, européenne, indienne et asiatique, constitue un modèle unique de multiculturalisme. Cette richesse culturelle contribue à une certaine stabilité sociale, malgré des inégalités économiques et un taux de chômage élevé de 18 % en 2023. La transition énergétique représente une opportunité majeure pour réduire ce chômage en créant des emplois dans les énergies renouvelables, les infrastructures intelligentes et la maintenance des systèmes énergétiques. On estime que cette transition pourrait générer entre 3 000 et 5 000 emplois d’ici 2030, notamment dans des domaines variés comme l’installation des systèmes solaires et éoliens, la maintenance des infrastructures énergétiques intelligentes, et la recherche et développement en hydrogène vert et énergies marines.

V. Innovation et Perspectives Long-Terme

1. Technologie et Infrastructure Intelligente

La Réunion explore des solutions technologiques pour optimiser son mix énergétique :

  • Smart grids pour stabiliser la distribution d’électricité.
  • Stockage d’énergie via des batteries avancées ou de l’hydrogène vert.

2. Hub Scientifique et Spatial

Des initiatives comme le Centre d’Observation de la Terre SEAS-OI et la Reunion Island Space Initiative témoignent de l’ambition de La Réunion de devenir un centre scientifique et technologique de référence. Ces projets renforcent son attractivité internationale et ouvrent des perspectives économiques.


Conclusion : Un Modèle à Bâtir

La Réunion est à un tournant de son histoire, combinant des enjeux énergétiques, climatiques et géostratégiques. L’intégration des recommandations du rapport Draghi, l’analyse des impacts des conflits internationaux sur les approvisionnements énergétiques et la préparation face aux conséquences des événements climatiques extrêmes sont essentielles pour renforcer la position stratégique de l’île. En s’appuyant sur ses atouts, elle peut devenir un modèle d’innovation insulaire et un acteur central de la transition énergétique mondiale. Cependant, pour concrétiser cette vision, il est impératif de :

  • Renforcer les infrastructures énergétiques et résilientes.
  • Accélérer l’électrification des transports et des bâtiments.
  • Exploiter durablement les ressources de la ZEE tout en préservant les écosystèmes.
  • Consolider son rôle dans la sécurité régionale et la coopération internationale.

Cette approche intégrée permettra à La Réunion de relever les défis de demain tout en s’imposant comme un pilier stratégique et énergétique dans l’océan Indien. Les points stratégiques clés incluent l’amélioration de la résilience face aux risques naturels, l’électrification des transports, le développement des énergies renouvelables et une gestion durable des ressources de la ZEE. Ces actions garantiront une transition énergétique alignée sur les objectifs climatiques tout en renforçant le rôle géopolitique de l’île.

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