2025, Clément Payet.
L’énergie est une arme géopolitique majeure, comme le montrent la guerre russo-ukrainienne et les positionnements internationaux sur les besoins en énergie et métaux rares pour le développement de l’IA. La transition énergétique et notamment l’électrification des besoins redistribue le pouvoir géopolitique, réduisant la dépendance aux hydrocarbures mais créant une vulnérabilité aux matières premières critiques (éoliennes, photovoltaïques, batterie), dominées par la Chine.
Face à ce constat, la géothermie pourrait réduire l’utilisation des énergies fossiles et la dépendance aux métaux critiques, offrant une alternative énergétique durable et locale, particulièrement stratégique pour les territoires volcaniques, tout en assurant une solution stable pour le chauffage, le refroidissement, le stockage et la production d’électricité, répondant ainsi aux enjeux de sécurisation des approvisionnements et de diversification énergétique. A titre d’exemple, dans la région du rift est-africain, où l’hydroélectricité est affectée par le changement climatique et les tensions géopolitiques, la géothermie offrirait une alternative pour sécuriser l’approvisionnement énergétique.
Ainsi, l’Agence internationale de l’énergie prévoit une forte croissance de la demande d’électricité, et la géothermie pourrait répondre à 15% de cette croissance d’ici 2050. Actuellement à 0,8% de la consommation mondiale, la géothermie a un potentiel d’expansion énorme, pouvant atteindre 800 GW d’ici 2050.
Depuis 2022, la guerre en Ukraine a ravivé l’intérêt pour la géothermie profonde, incitant le gouvernement français à simplifier et accélérer son développement. En 2023, un plan d’action a été publié, incluant la parallélisation des procédures d’instruction des permis de recherches, réduisant ainsi les délais de moitié. Ces mesures visent à renforcer la filière géothermique, cruciale pour atteindre les objectifs de neutralité carbone et réduire la dépendance aux énergies fossiles.
Le 18 février 2025, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a rendu un rapport sur leur potentiel géothermique des Zone Non Interconnectée (ZNI), dont fait partie La Réunion, à la direction générale de l’Énergie et du Climat (DGEC), comme le prévoyait l’article 107 de la loi d’accélération des énergies renouvelables (Aper) de 2023.
La Réunion pourrait avoir sa place sur la cartographie mondiale de la géothermie grâce à son territoire volcanique. Plus précisément, plusieurs secteurs sont stratégiques sur l’île. En 1985-86, un forage à Salazie a atteint 185°C à 2100 mètres de profondeur, mais la faible perméabilité a empêché l’exploitation. La Plaine des Sables, un site prometteur, a été écartée en raison de son classement au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, déplaçant les études vers le Piton des Neiges et d’autres régions comme la Plaine des Cafres et la Plaine des Palmistes.
Les études du BRGM ont identifié plusieurs zones favorables au développement de la géothermie, notamment Salazie, Cilaos, la Plaine des Cafres, la Plaine des Palmistes, et le Rift de l’Étang Salé. Cependant, des forages exploratoires supplémentaires sont nécessaires pour confirmer ce potentiel et lever les incertitudes géologiques. Les températures élevées à des profondeurs relativement faibles (180-350°C à 1 000-2 000 mètres) offrent un potentiel significatif pour la production d’électricité.
Le potentiel géothermique aurait donc sa place dans la production électrique de l’île au regard de ses spécificités pour limiter sa dépendance énergétique (fioul, charbon) et ainsi répondre aux futures infrastructures. Pour les îles volcaniques de l’arc des Petites Antilles, la géothermie est particulièrement rentable, offrant plus de résilience face aux aléas météorologiques et géopolitiques que d’autres énergies renouvelables ou non. Au-delà de la production d’électricité, elle offre divers usages directs de la chaleur, tels que le thermalisme, le séchage agricole (vanille ?), et la climatisation via des systèmes de refroidissement géothermiques, particulièrement pertinents pour les hôpitaux, hôtels et data centers.
En 2023, les énergies renouvelables constituent 57 % de la production électrique réunionnaise, dont 13 % d’hydroélectricité et 26% d’énergies renouvelables non locales donc importées (16% de biodiésel et 10% de pellets de de bois). Le contexte insulaire local est marqué par plusieurs paramètres :
- une croissance démographique annuelle de 0,5 %, supérieure à la moyenne nationale, augmentant ainsi les besoins énergétiques pour la mobilité électrique, la domotique et la climatisation.
- Un développement de data centers, nécessitant une électrification massive et des systèmes de refroidissement, pourrait accroître la dépendance aux importations d’énergies fossiles à court et moyen termes.
- Des sécheresses peuvent affecter la production hydroélectrique. « En 2023, la diminution de la pluviométrie (-20% par rapport à 2022) combinée à une disponibilité moindre de certains moyens de production hydraulique, a entraîné une baisse de 37,9% de la production hydroélectrique par rapport à 2022 », selon l’OER
- Des importations d’énergies fossiles et renouvelables (biomasse) dans un contexte actuel de guerre économique et d’instabilité dans certaines zones maritimes mondiales (conflits, aléas climatiques).
Production électrique de La Réunion en 2023 (OER).
En termes de projection, à La Réunion, outre les fonds de garantie pour la production d’électricité, la PPE prévoit une capacité géothermique potentielle de 0 à 5 MWe d’ici 2030. L’ADEME estimait en 2020 un potentiel de 15 MWe avec une fourchette basse de 5 MWe de géothermie à La Réunion pouvant ainsi représenter en 2030, 2% de la production d’énergies renouvelables. Pour le BRGM, ce potentiel géothermique serait comparable à celui de la centrale de Pahoa à Hawaï, qui produit 30 MWe, suffisant pour alimenter environ 80 000 abonnés réunionnais (sur une base d’une consommation moyenne annuelle de 3,27 MWh par abonné selon l’observatoire des énergies de la réunion OER).
Malgré les perspectives et l’intérêt des collectivités et de la SPL Horizon Réunion, aucun projet concret n’a encore vu le jour. Si La Réunion développe la géothermie et réduit ses importations d’énergies fossiles, cela pourrait diminuer les recettes issues de l’octroi de mer, affectant le financement des collectivités locales. Mais, cette transition pourrait générer des bénéfices économiques à long terme, tels que la réduction de la facture énergétique des ménages et des infrastructures, la création d’emplois locaux, et une économie plus durable. Ces gains pourraient renforcer d’autres sources de financement pour les collectivités.
Les principaux défis incluent la simplification des démarches administratives, la couverture des risques financiers, notamment géologiques (radioactivité et sismicité), et l’intégration des contraintes environnementales. Les innovations technologiques, telles que les systèmes géothermiques améliorés (EGS) et les techniques de forage avancées, pourraient améliorer la productivité.
Le développement de la géothermie est freiné par la rareté des terrains, la protection de l’environnement fragile, et les risques volcaniques et sismiques. Pour accélérer les projets, il est crucial de simplifier les procédures administratives et de soutenir financièrement les initiatives. La géothermie pourrait entrer en conflit avec la protection des parcs nationaux ou des activités économiques comme le tourisme, mais elle reste une énergie propre et contribue à l’indépendance énergétique et à la réduction des émissions.
Bien que la zone de rift à La Réunion soit moins développée, des perspectives d’exploitation existent, mais les coûts élevés des forages et les enjeux environnementaux freinent les projets. Depuis 2008, la capacité électrogène française n’a pas évolué, malgré la compétence de la filière géothermique, en raison de la dépendance aux fabricants étrangers pour les turbines et du développement lent des projets, notamment dans les DROM.

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